lundi 26 avril 2010

"Des maux et des mots, embellie provisoire" de Fadhila

Nous retrouvons Fadhila, que nous avons déjà découvert sur ce blog avec quelques écrits. Voici un hommage fait aux mots, fiévreux combattants des maux...

« Un matin, j’ai ouvert un livre et ma vie en a été changée ». Je ne sais plus qui, un jour, a posé ces mots sur une feuille blanche. D’ailleurs, quelle importance ? Ces mots, je les ai faits miens. Je les ai accrochés à mon cœur comme des pierres précieuses et, corps et âme, je me les suis appropriés. En prédateur. A pieds joints, j’ai sauté dans l’oubli. De ce qui n’était pas eux.
Mots-nomades, mots-voyageurs, mots-infini. Mots iconoclastes. Myriades de liberté. Remèdes contre l’enfermement de la pensée et pour la transgression.
Il m’a suffi d’ouvrir la boîte aux trésors et de les laisser venir vers moi. Grâce à eux, j’ai soulevé, un à un, les voiles qui obscurcissaient mon esprit. J’ai fait tomber des murs. Grâce à eux, j’en ai fini avec cette mauvaise conscience qui rôdait, chaque nuit, autour de moi, me rappelant inlassablement à mon devoir de soumission. Au risque de succomber. En trop baissant la tête.
Alors, au diable l’obéissance !
Merci, les mots !
Aujourd’hui, à mon tour de vous écrire sur les pages de mon cahier.

Fadhila, avril 2010

"Re(gret + mords)" d'Anne-Lise

Un texte plutôt drôle sur le bilan fait des regrets et des remords ressurgissant aux portes du Paradis, par exemple...

Saint Pierre me réexplique : « le remord, c’est une excuse silencieuse. Le regret, c’est un vide dans ton cœur. Ok ? ». Cette fois je crois que j’ai compris. Je dis « Ok ! » et je commence :
« N’avoir jamais traversé la rue pour aborder la joie rousse qui portait des jeans troués et des pulls bien trop larges pour elle ». Je coche Regret.
« Ne pas avoir suivit les copains qui allaient voir les filles se changer dans la tente d’à côté. Du coup, j’ai rien vu et j’ai été privé de piscine le lendemain, comme les autres. Punition collective. Injuste. » Regrets putain ! Regrets !
« N’avoir jamais su dire à Célia qu’elle était tout ce qu’il me fallait, belle, drôle, intelligente mais qu’il lui manquait un truc. Non ! Qu’il me manquait le truc … le petit quelque chose pour tomber amoureux d’elle. ». Je réfléchis. Remord.
« Ne pas avoir assez écouté Nicolas, mon cousin, avant et après sa deuxième tentative de suicide. » Je fais une moue dubitative. Je l’ai quand même pas mal écouté. Bon et puis qu’est ce que tu veux faire de plus. Donc regrets … éternels.
« Avoir envoyé des fleurs à cette pute de Stéphanie qui m’avait trompé avec Nathan ». Remord !
« Avoir trompé Julie ». Remord.
« Avoir escaladé la clôture des Lefranc pour aller chercher mon ballon et m’être fait gnaquer le mollet par Toby (Ca sonne bien comme ça mais c’était une teigne !) et m’être fait avoir une deuxième fois le lendemain. Même situation, même punition ! ». Je compte dans ma tête. Mordu + mordu ça fait deux fois mords donc remords.
« Avoir volé dix francs dans le porte monnaie de ma grand-mère. ». Mais bon c’était pour m’acheter des bonbecs et ça va, ça l’a pas mis sur la paille non plus ! Bon Ok, pour le principe, Remord, mais vite fait.
« Avoir écrasé un chien ». Remord. Mais si je précise que c’est Toby …
« Ne pas m’être inscrit sur les listes électorales ». Regret, surtout depuis que le nouveau maire F.N. veut interdire la vente de meubles en ébène à l’Ikéa du coin.
« Avoir fait croire à mes élèves que j’étais le cousin du gagnant de la star ac’, que j’ai appelé mon fils Goofy parce qu’il avait de grandes oreilles, que des élèves meurent en aviron sur le bassin de la villette à cause du taux d’alcoolémie des conducteurs de péniche, que j’ai été marié de force à la fille d’un chinois lors d’un voyage scolaire à Barcelone et que je ne m’occupe jamais des non nageurs en natation car j’ai mangé trop de parpaings quand j’étais petit … ». franchement ? Mort de rire ! Remords de rire !!!

Anne-Lise

"Remords" de Vincent

Comme un poème, ou encore un slam, voici la plume d'un jeune auteur, Vincent, lui aussi présent à l'atelier depuis la rentrée dernière.

Remords de qui ?
Remords de quoi ?
Remords pour quoi ?

Tout va si vite, le temps nous échappe, y a t-il un temps,
Un temps pour faire face.
Si elle a fait mal,
Si mal elle a fait,
Peut-elle revenir ?
Peut-elle réparer ?
Ce remords qui la ronge,
En remordant la plaie,
Plaie qu’elle a voulue,
Elle avait si mal,
Et ne s’est pas retenue.

A quoi bon s’attarder,
A quoi bon le passé,
A quoi bon le pardon,
Non,Non,Non.

Le remords a tort.
Il vient trop tard lorsqu’il vous mord.
Alors mieux vaut,tant que l’on peut
Remordre la vie et tenter de faire mieux.

La sève remonte,le corps s’enivre,
Adieu le Re
Mords dans la vie.

Vincent

"Plat de résistante" de Barbara A.

Barbara A. est également arrivée à l'atelier Mot à Mot la rentrée dernière. Un de ses textes a été sélectionné lors d'un concours organisé par l'Université de la Sorbonne et notamment par les étudiants en Master "Edition". Plume très prolifique, au ton bien particulier, Barbara A. n'hésite pas à critiquer avec ses mots à elle, notre bonne socièté contemporaine.

Nous sommes tous des témoins gênants. On vend de l’espoir au prix du caviar, du bonheur en haute technologie, des émotions en contre-plaqué. On refourgue des histoires en kit, pièces détachées, deux tournevis, le tour est joué. Les cœurs et les cerveaux Ikea, petites surfaces optimisées, ont des alarmes incendies dans leurs cuisines toutes équipées. Rien ne brûle, rien ne doit brûler. A la moindre étincelle, on appelle en renfort la brigade des puissants passés maîtres dans l’art d’étouffer les feux de tout bois. La verdure ne pousse que sur les tracts jetés dans des poubelles pleines à craquer. La politique est un programme télé. Les machines à laver sont les nouveaux coffres-forts, elles brassent les milliards de marques mondialisées sans user au lavage, fonction trente degrés, séchage au soleil du grand sud exploité. La glace fond, les avions décollent, la terre baisse les bras, les mains-d’œuvre pendouillent en bas, le long des cuisses de Jupiter, tout en bas de l’échelle, sixième dessous sans ascenseur, morts, enterrés. Le pouvoir ne tolère pas de prendre des vestes alors il ne cesse de les tailler, les modèles ne manquent pas, les patrons sont dans tous les ateliers. Avec un fil d’argent et des aiguilles chirurgicales, ils recousent à l’envie ce qu’ils ont sauvagement déchiré. Le téléphone sonne, ne quittez pas, nous ne sommes pas prêts de raccrocher. Petite musique d’attente, il faut gaver les gens pour les faire patienter. Dans toutes les gueules, des hameçons ont été plantés pour tirer vers l’avant sans déviation possible. Il faut se décrocher la mâchoire pour témoigner, arrêt sur image, éteignez la télé, ce n’est pas sur une télécommande ou un écran tactile qu’il faut avoir le doigt pointé. Silence, t’es moins. Dire, témoin. Questionnaire à choix forcé, conformisme des idées, la terreur du zéro pointé dans un monde à super héros bien membrés. Demain, on va tous déjeuner chez Mickey. On sera dans les assiettes.

Barbara A.

"Ecoute moi" d'Estelle

Une auteure que je ne connais pas encore ! Voici un texte dont le thème lancé par Joëlle Guillais était : Ecoute moi.

Écoute-moi, j’ai besoin que tu écoutes le bruit de la mer avec moi, la sirène du phare, le fracas des vagues qui s’écrasent dessus. J’ai besoin que tu plonges avec moi à l’intérieur de ce bruit, que tu sentes sa douleur, son odeur, sa saveur. Il s’étire en moi et me noie comme un piège qui se referme. Tu viens me chercher mais je suis bien là. Je n’peux plus partir. Regarde mes pieds, ils sont presque devenus des coraux.
Alors Olav se pencha au dessus d’elle. Ses bottes vertes flottaient dans l’eau avec quelques algues qui s’étaient liées autour. Et lorsqu’il s’approcha de son visage il lui sembla devenu flou. Il essuya ses lunettes du revers de sa manche mais les vagues s’acharnaient sur la digue et l’embrun embrassait à son tour tout ce qui tournait autour.
Olav ferma les yeux et perçut l’odeur acre et salée de la mer. Elle lui rentrait par tous les pores de la peau maintenant. Il essaya de tirer la fille par la manche. Elle était devenue lourde comme une ancre. Olav devinait son sourire derrière l’imperméable jaune. Il partit vers la dune.
Dans le déclin du jour son ombre s’allongeait sur le sable. Il se sentait seul. Quelle drôle de demoiselle il avait dégoté là ! Elle ne ressemblait à aucune autre. Il aimait bien s’asseoir à coté d’elle, partager son silence. Mais depuis deux mois qu’il la voyait tous les jours il n’avait pas l’impression de mieux la connaître. C’est vrai, il ne savait rien au fond. Ni d’où elle venait, ni ce qu’elle voulait faire. Elle était fuyante comme une anguille.
Souvent le soir il peignait. Peut-être pour combler l’abandon, ou pour sortir de lui-même. Ca lui faisait du bien. Il appelait ça « manger du paysage ». Ca la faisait rire, elle, qu’il dise ça. En fermant les yeux il essayait de voir son visage, il ne distinguait qu’une ombre.
Il se mit à longer la plage. La marée montait avec une sorte de grondement tranquille. Il regardait sa silhouette au loin, à demi perdue dans la houle. Elle ne l’avait pas écouté, pas un seul instant Elle était comme un mur derrière son univers. Il se sentait si seul. Comment lui dire. Il n’avait pas les mots pour parler. C’est si dur quelquefois de communiquer. Et puis qu’est-ce que ça veut dire communiquer ? Il aurait voulut ne plus se poser de questions. Ca tournait dans sa tête. Marcher lui faisait du bien. Alors il s’allongea sur le sable et laissa la nuit s’installer en lui.

Estelle, février 2010

"Le verre est vide" de Jonathan

Un texte élégant, qui nous guide dans les coulisses de l'addiction. Un texte dont je ne connais par encore l'auteur. Découvrons-le ensemble.

Ils avaient tous commencé par la fin. Il fallait boire jusqu’à plus soif. Tout boire. Jusqu’à la lie. Sans répit. Boire d’abord. Et voir ensuite. Boire au goulot. Au goutte-à-goutte. Boire et couler. Boire et se noyer. GlouGlou. Boire sans se poser de questions. Boire pour éviter les questions. Y’a pas de réponses au désir de boire. Rien à faire, rien à oublier. Boire pour boire. Et s’enivrer, s’enivrer de se voir boire. Et aimer ça. Aimer se voir boire. Comme un sport : se dépasser dans l’acte de boire. Boire, je t’aime à la folie. La soif de boire qui ne s’éteint pas avec la boisson, qui ne s’éteint pas. Le désir de boire se nourrit de lui-même. Pour lui. Pour et jamais contre. Pas besoin d’être contre. C’est toujours lui qui gagne. Les buveurs sont des champions qui s’ignorent. C’est la boisson qui les perdra.

Jonathan

"T'entendre", d'Oriana

Désolée d'avoir tardé à reprendre ce blog. Le point positif, c'est que j'ai amassé nombre de textes aux plumes volubiles et impatientes ! Voici donc, un texte d'Oriana, une plume présente depuis la rentrée dernière à l'atelier Mot à Mot...

C’est un bruit silencieux, léger d’abord et presque imperceptible, une vibration, une secousse à peine. Pour un peu on se rendormirait, mais non, le bruit revient plus brut, vous lance de murs en murs ses grondements. On s’éveille. Quelque chose en nous pousse en tous sens, mais ce n’est plus nous, ce n’est plus moi qui bouge, c’est la terre, c’est les meubles, c’est les murs, c’est les verres, c’est le tremblement de tout autour, incessant. On voudrait descendre, on voudrait sortir, mais on reste là, dépossédé de nos propres mouvements, figé et mouvant malgré soi.
Descendre, sortir, se vêtir, de l’eau une lampe, les clés, du liquide, ouvrir la porte et descendre, et sortir. S’agripper à sa peur, et la faire volonté et la faire action, rigidifier ses gestes, concentrer ses mouvements et descendre et sortir, sans paniquer. Comme on ignore si ce sont nos membres ou la terre qui vibrent, le tremblement se poursuit en nous et hors de nous.
Enfin on est en bas, enfin on réalise ; tout un immeuble au dehors, toute une ville hors de ses murs, avec tous ses habitants dénudés, enfantés par les édifices éventrés.
On me dit de marcher vers un endroit plus sûr, on me dit de rester, on me dit de partir. Je ne veux pas écouter, je ne veux pas rester, je ne sais pas partir, tout ce que je veux c’est t’entendre. Je ne sais pas comment je descends chercher la voiture au sous sol, je ne sais pas comment j’allume le contact, je ne sais pas comment je conduis dans l’obscurité de ma ville, sans électricité ni signalisation, je ne sais pas comment, mais je quitte le quartier, mais je rejoints ta rue, mais je me gare devant ta maison, je ne sais pas comment mais ta maison n’est plus qu’un tas de pierre. Je ne sais pas comment te joindre, te rejoindre, t’entendre, parce que les lignes sont coupés, parce que les maisons sont détruites, parce que les routes sont impratiquables, parce que la terre m’a avalé tout entier avec mon quotidien, mes rues, mon bureau, mes habitudes, en trois minutes de tremblement. Je ne sais pas comment ni quand, t’entendre, je ne sais pas, et ça tremble en moi, doublement.

Oriana