lundi 30 novembre 2009

"L'éloge de la serpillère", de Barbara

Un soir, le thème de l'atelier fut l'inscription des quelques mots suivants : "l'éloge de la serpillère".....! Barbara fait partie de l'atelier depuis pas loin de 3 ans, maintenant. Avec comme arme redoutable l'humour et la maîtrise d'une légèreté, recherchée, aboutie, ainsi que le don d'animer les objets les plus improbables ; Barbara est la spécialiste des "nouvelles". Un genre de texte plus ou moins long, particulièrement difficile à mettre en place, avec une trame, une chute finale. Sans être une histoire d'ajout de quelques lignes par rapport à un texte court, la nouvelle est un exercice littéraire particulier qui réussit très bien à Barbara. Je vous laisse apprécier son "éloge de la serpillère".

Un lundi matin, dans une cour, deux serpillières se retrouvent étendues au soleil.

- Bonjour.
- Bonjour voisine, ça va ?
- Très bien avec ce beau soleil.
- C’est si agréable après une longue journée de travail.
- Surtout le lundi, c’est la pire journée pour moi.
- Ne m’en parlez pas ! Samedi ils ont reçu.
- Encore ? Mais ils n’arrêtent pas !
- Oui, c’était pour l’anniversaire du petit, six ans aujourd’hui ! Et vous ne devinerez jamais, ils n’ont invité que des gamins ! Ils couraient dans tout l’appartement. Ils ont mis des miettes partout ! Sans parler des tâches de coca et de jus d’orange. Je ne vous dis pas le travail pour tout nettoyer.
- Oh, là, là, ma pauvre. Heureusement que chez moi, il n’y a pas d’enfants ! Par contre il y a quatre chats.
- Quatre chats ! Je ne pourrais pas travailler dans des conditions pareilles. Figurez vous que je fais une allergie aux poils de chat. Mais dites-moi, comment faites-vous pour avoir toujours une tenue aussi parfaite, aucun relâchement, les fibres bien lisses et propres. On dirait que vous sortez de votre emballage. Et pourtant avec quatre chats ce n’est pas le travail qui vous manque.
- Ça se voit, n’est-ce pas ? Alors que vous … vous avez l’air bien usée. Vous voulez connaître mon secret ? C’est la lessive "Douce serpillière" avec adoucissant.
- Ah, je comprends maintenant. Alors que moi, on me lave au savon de Marseille et on me laisse tremper dans l’eau de Javel. Du coup mes couleurs s’en vont, mes fibres deviennent rêches. Et comme produit pour le sol, que prenez vous ?
- Ma propriétaire n’utilise que du "Sol brillant, spécial peaux délicates". Ça n’abîme pas ses mains et mes fibres apprécient aussi.
- Quelle chance ! Vous avez encore des belles années devant vous ! Alors que moi … Samedi je l’ai bien vu, elle en a acheté une autre.
- Mais non, vous vous faites des idées.
- Pour l’instant elle est dans son emballage, mais je sens que mon heure approche. Si vous voyez l’air hautaine avec laquelle elle me regarde.
- Ah, ces petites jeunes, toutes les mêmes ; des grands airs quand elles arrivent mais au bout de deux mois elle sera dans le même état que vous !
- Mais ça fait deux ans que je suis à leur service !
- Deux ans ? Vous ne les faites pas ! Au bout de deux ans, vous pouvez bien accepter la retraite.
- Oui, c’est vrai … Ah, j’entends des pas, je crois que c’est l’heure de la salle de bain. Je vous laisse, peut être à demain.
- A demain, bon lavage. Moi je reste encore un peu au soleil.

Barbara, Avril 2007

jeudi 26 novembre 2009

Un exemple d'incipit à partir duquel nous avons pu écrire, lors d'un atelier...


Joëlle Guillais donne un "support" à partir duquel notre imaginaire peut se déployer. Comme un souffle sur les plumes se soulevant, une influence pour "démarrer", nous qui sommes en alerte, dans nos starting-blocks littéraires. Et vous, qu'écriveriez-vous à partir de l'incipit ci-dessous ?...

Puisque vous aimez les acrobaties littéraires et que vous avez toutes les audaces, je vous propose aujourd’hui de vous risquer avec les mots en les caressant dans le sens inverse du temps pour se projeter plus en avant et de revisiter la mémoire, le temps, l’Histoire. Et ceci, sans frontières. A travers les siècles, les temps de guerre. De revoir Azincourt. Ou d’aller en paix. Ouvrez des brèches, ajustez le prisme de votre imaginaire. Partez, allez vers ces contrées nouvelles, celles du passé. Et c’est vaste…
Prenez la liberté de vous rendre au Canada ou en Mayenne. Prenez place à côté d’un roturier dans une voiture à cheval… Arrêtez-vous dans un Relais de poste… Suivez des grisettes qui se rendent à l’atelier… Promenez-vous aux Tuileries. Mêlez-vous à cette foule place de la Grève, le jour de l’exécution de… Vous voilà crotté par la boue des rues, vos bas sont souillés et on vous attend dans l’antichambre de Monsieur De Ferrière de Sauvebœuf… Au même moment, un orage s’abat sur les blés de maître Launay. Ou bien ouvrez les portes de Mettray, le pénitencier… A moins que ce soit les portes d’une abbaye…
Joëlle, l'animatrice de l'atelier

mercredi 25 novembre 2009

Un reportage sur l'atelier de Joëlle Guillais

Une petite vidéo pour accéder, en images, à l'intimité de l'atelier !

dimanche 22 novembre 2009

"Vieillesse ennemie" d'Amélie, moi !

Allez, je me lance, à mon tour de m'exposer ! Un peu plus tard, je posterai des extraits de mon roman "Nos coeurs s'étaient filé rancard", aux éditions du Cygne.

Nous emmerdions le monde et le monde nous emmerdait. Ah, Camille ! Quand cette fille me prenait par le bras, elle m’envoûtait, me kidnappait, m’encourageait à faire ça n’importe où : dans les toilettes des restaurants, des cafés, du cinéma où nous ne regardions jamais les films en entier. Camille, sans peur ni pudeur. Elle me mettait son cœur entre les mains et soupirait en chuchotant, les yeux fermés, quand tout son corps se relâchait enfin : « Pierre, garde-le pour toujours, ne le perd pas, tu m’entends ? ». Souvent, mes rêves l’accueillaient avec douceur, immense joie. Mais d’un coup, son cœur devenait aussi lisse et fuyant qu’un savon sorti de l’eau. Il glissait, m’échappait sans que je puisse le rattraper.

Le réveil. Brutal, toujours un peu assassin. Mes vingt ans se dissipaient avec les premières impressions de ma vie, de cette vie sans elle. Ma vie mutilée. De petits frissons jouèrent autour de mes yeux. Non, Pierre, tu n’as plus l’âge de chialer et de t’apitoyer sur ton sort, à 80 balais ! Mais son rire, aujourd’hui encore, déchire le silence. Sur certaines régions de mon corps, ses mains m’effleurent.

Mon fils s’inquiète de me savoir isolé des jours et des jours où seuls les programmes télé scandent mon existence.

Ce matin, je décidais de m’habiller et de sortir. Je marchais lentement dans la rue. Parvenu aux abords de la bouche de métro, les frôlements des inconnus se multiplièrent. J’avais peur qu’on me bouscule comme je heurtais ma mémoire à essayer de me souvenir si j’avais bien pris mon médicament avant de partir.
Sur le quai, les trains s’arrêtaient, ouvraient leurs portes et vomissaient des flots de gens aux visages hagards et déjà ailleurs. Des visages anticipateurs. Je clopinais jusqu’à l’intérieur du wagon, me mêlant exprès au contre-courant humain. Les portes se refermaient de nouveau. Deux jeunes femmes discutaient dans ma nuque. Devant moi, le dos massif d’un homme en anorak, forteresse imprenable.

J’étais bien. J’avais chaud. On m’entourait. Ce matin, j’étais moins seul.

Amélie, Décembre 2008.

samedi 21 novembre 2009

"Impostures diverses et notamment sentimentales" de Pierre

Pierre est un jeune homme arrivé récemment à l'atelier. Il est l'un des derniers inscrits du moment ! Des textes qui démontrent déjà une finesse, une profondeur, avec de courtes phrases, percutantes, toutes indispensables à l'unité et la cohérence du texte. Je vous laisse découvrir son écriture.

23 ans. Lola

Je sors avec Lola. Elle est ma princesse. Je l’entoure d’affection. Sans rien dire, sans rien faire, elle reçoit tout de moi : des « Je t’aime » sont répétés. Ils deviennent des paroles banales, des mots dévalués. La monnaie d’un Etat qui fait tourner la planche à billets. Face à son immobilisme, je comprends qu’elle ne m’aime pas, qu’elle aime juste être aimée. Commencement de l’imposture. Comment pourrait-elle me désirer quand elle m’a sans effort. Je prends conscience de ma naïveté. La relation amoureuse était vue comme un troc, un simple échange marchand : je te chéris donc tu dois m’aimer. J’attendais son retour. Plus qu’un naïf, je suis comme elle un égoïste. Un égoïste doublé d’un faussaire. Un jour, elle m’annonce qu’elle en fréquente un autre. Nous nous quittons. Fin de la première imposture.

27 ans. Christine

Je la courtise, elle acquiesce. Elle me dit que la relation devra être légère. Sur le moment, je ne fais pas attention. Je ne saisis pas la nuance. Nous formons un couple mais elle me semble distante. Un jour pour avoir le cœur net, je lui demande : « Est-ce que tu m’aimes ? ». Elle me répond : « Non ». Surpris, j’enchaîne : « Alors pourquoi sors-tu avec moi ? ». Elle lâche : « C’est en attendant mieux ». Sur le moment, j’encaisse. Magnanime, je lui passe cette vacherie. Je lui trouve des excuses. Je me dis, c’est de l’humour noir. Ou alors, c’est la peur qu’elle a de s’engager sentimentalement en parole.
Un matin après une nuit d’amour, me regardant m’éveiller, elle m’annonce : « Je crois que je t’aime ». Emu, soulagé, je reste silencieux. Percevant mon émotion, elle ajoute : « En fait, c’est un mensonge ». Je m’habille, je pars au travail. Le soir, au téléphone, je lui annonce que c’est fini. A la réflexion, il vaut mieux vivre sans amour, seul, qu’être aimé à moitié, question de dignité. Fin de la seconde imposture.

Pierre, Octobre 2009

« Le voyage imaginaire de Monsieur E. » d’Emmanuel

Je ne peux m'empêcher d'ouvrir ce blog avec le texte d'un auteur talentueux et sans prétention, j'ai nommé Emmanuel, âgé d'une trentaine d'années : notre mascotte des textes courts et explosifs. Emmanuel est l'un des plus "anciens" de l'atelier. Il a débarqué un jour, en même temps que moi, chez Joëlle Guillais, il y a 3 ans de cela, et depuis nous sommes les deux plus "vieux" auteurs de cet atelier. Mais, je me tais et vous laisse découvrir l'écriture d'Emmanuel...

Eric Lambert est un homme encore dans la fleur de sa jeunesse, quarante ans tout au plus et il peut sans rougir affirmer que sa vie ne fut ni un échec ni un succès mais plutôt une suite de hasards heureux la plupart du temps. Il ferait sa révolution tel un rêveur éveillé poursuivant je ne sais quelle chimère éperdue, quand il se trouva nez à nez avec un mystérieux manuscrit avec comme seul en-tête la lettre A. A comme amour, A comme aventure, A comme apprentissage. Ce serait à sa pauvre âme vermoulue de se réapproprier son destin si destin il y a : car dans l’infiniment pluriel se dessine l’opposition du singulier, car en effet le travail s’opère à son corps défendant ou désirant à souhait. Réinventons le bonheur à notre table aux confins du plaisir. Buvons à l’aiguillon du désir à l’affût de nos âmes esseulées. Réinventons la soif de notre immersion des paysages humains en lisière des cieux divins.
Soyons nous-mêmes l’appât d’un regain et le chasseur et le gibier pour nous affûter l’outil de nos connaissances éparses et fonction de nos souvenirs empâtés d’avenir. Allons milord ! Souriez milord. Vous n’êtes pas encore dans les rets du seigneur. Qu’on se le dise !
Défendons la géométrie des sourires aguichants, grinçants, mielleux, faux ou vrais pourvu que l’on soit sincère et visionnaire. Quand la quintessence des aveux qu’on dit avec les yeux nous permet de survoler tout en ne faisant qu’un avec la montagne.
Emmanuel, le 13 octobre 2009