mardi 22 décembre 2009

"Nos coeurs s'étaient filé rancard" : ma fierté littéraire


On dit qu'écrire un roman relève de la performance sportive. C'est un peu vrai ! En plus reposant, physiquement ! J'avais ce roman en tête depuis plusieurs années, et à vingts ans, je me suis lancée. Cinq ans plus tard, je cherchais un atelier d'écriture pour tenter de voir si mon écriture "était dans le coup", valait quelque chose. Et je m'aperçus que, comme toutes les écritures, elle valait effectivement quelque chose... Joëlle m'a permis de progresser dans ma façon d'écrire, car attention, à l'inverse de ce que l'on peut croire, l'écriture renferme toute une dimension technique! Certes, l'histoire que l'on a en soi, les choses viscérales qui nous poussent à prendre la plume jouent énormément dans cet élan sublimatoire, mais à y regarder de plus près, en peaufinant un texte, un roman, ou même quelques lignes; nous pouvons déceler des choses non maîtrisées, sur la forme : des répétitions, des phrases mal tournées, mal agencées, des scories (des petits mots souvent que l'on place dans nos phrases et qui sont inutiles, mais que l'on ne voit pas, comme un "tic" graphique...). Et puis donc, à force de travail et surtout de volonté, je suis parvenue à mettre un point final au roman "Nos coeurs s'étaient filé rancard". Edité aux éditions du Cygne, une petite maison d'édition versée dans l'interculturalité comme unique politique éditoriale (et quel noble thème!); le "fond" de mon écriture s'avéra correspondre à ce que Patrice Kanoszaï, directeur et fondateur des éditions du Cygne, recherchait. Par chance, et par sueur, pour moi !
Je ne peux m'empêcher une nouvelle fois de rendre hommage à Joëlle Guillais, sans qui très certainement, mon manuscrit ne serait jamais devenu un livre.


L'ARGUMENTAIRE :


Au sein d’une banlieue parisienne, Angèle, d’origine juive polonaise, s’éprend de Mehdi, musulman. Tous les deux vivront une passion adolescente en se filant rancard à l’angle d’un destin tourmenté par les fantômes de la Shoah et de la guerre en Algérie. Leur amour survivra-t-il aux amalgames faits en France des échos du conflit israélo-palestinien, aux idéaux des familles ?
C’est un hymne à la tolérance, une incitation à la rencontre de l’autre, au-delà des souvenirs des guerres consumant encore les mémoires familiales et faisant bien souvent le nid d’une identité explosive, dangereusement compromettante pour l’individu qui désormais ne peut plus se définir autrement que par le traumatisme de ses aînés.
Angèle, Mehdi et les autres parviendront-ils à prendre leur envol lorsqu’aux chevilles le passé des prédécesseurs s’agrippe, retient au sol, et mandate jusque dans la chair, l’interdiction d’oublier ?

Disponible sur la fnac.com

"Journée de la femme (M. Duras)" de Mireille

Mireille vient à l'atelier depuis plus d'un an maintenant. Mireille est psychologue, et dans ses textes, elle tente d'insérer une certaine subtilité, celle que sa profession l'oblige à pratiquer. Mais par l'écriture de Mireille, nous restons dans la dimension littéraire, nous ne basculons pas dans l'essai psychanalytique qui serait ici une autre écriture, pas tout à fait appropriée! Je vous laisse découvrir Mireille...

Nous étions fin septembre début octobre, Marie reçoit une lettre de Violaine une de ses patientes :

Chère Madame,
Je n’ai pas repris RV comme convenu car je vais essayer de me passer de vous, je pense aller un peu mieux même si tout n’est pas réglé mais je peux m’investir dans des activités qui me plaisent et m’intéresse (la scpulture dont je vous avais parlé et le taï chi).
Je voulais vous remercier de votre soutien indéfectible, sans vous je ne sais ce que je serai devenue, clairement je ne serai plus là !
Votre écoute et votre patience m’ont accompagnée pendant toutes ces années et m’ont donnée de la force, je tiens à vous dire toute ma gratitude.
J’espère que vous pourrez me recevoir occasionnellement si j’en éprouve le besoin.
Avec mon affectueux souvenir.
Violaine


Marie relit la lettre, émue, c’est une belle fin de thérapie, mais est-ce fini un jour ? Avancer dans la vie c’est une thérapie. Elle pense c’est bien que Violaine fasse des choses pour elle, plutôt bon signe et puis la sculpture en effet avait fait l’objet de beaucoup d’échanges en séance.
Elle relit à nouveau la fin, l’association rare des mots respect et affection l’étonne mais c’est juste et bien ce qui a caractérisé la relation transférentielle avec Violaine.

Marie éprouve le désir d’écrire et de témoigner sur le travail fait avec cette patiente et quel chemin elle a parcouru avec courage et ténacité.
Marie connaît tout de sa vie, ce qu’elle a enduré enfant, ce qu’elle a pu reconstruire de son histoire en déplaçant la focale victimaire, les épreuves qu’elle a traversées et puis il y a quelques années ce qu’elle a vécu comme un drame : la révélation de l’homosexualité de son fils.
Cela a été comme une lame de fond venant dévaster les constructions familiales personnelles, bousculant les pensées, la morale de Violaine.

Marie a été comme une digue, un barrage contre cet océan dévastateur dans la vie de Violaine.

Alors témoigner, mais de quoi ?
Du cheminement intérieur de Violaine étayée par Marie, oui c’est ça, ainsi que de sa révolte de son incompréhension et de son agacement envers le discours ambiant, moderne, politiquement correct de la banalisation de l’homosexualité.

Mireille mars 2009

mardi 15 décembre 2009

Reportage sur une auteure de l'atelier : ... moi !

Et à propos de l'atelier : lorsque l'écriture devient une nécessité et une envie très forte de publication...



Il faut exploiter tous les talents des auteurs de l'atelier. Anne venait de terminer ses études dans le journalisme quand elle a composé ce reportage ! Merci Anne !

dimanche 13 décembre 2009

"L'escalier", de Fadhila

Fadhila est à l'atelier depuis bientôt 2 ans. Avec une écriture très fine, poétique, Fadhila dépeint des ambiances, des tableaux aux multiples évocations.

En haut de l'escalier, Elisa attend. Tellement poudrée qu'elle a l'air d'un fantôme fragile aux grands yeux noirs. Derrière elle, la porte de sa chambre, ouverte, laisse entrevoir un lit défait aux draps emmêlés et, dans un coin, un lavabo blanc.

Elisa attend. Du salon, au rez-de-chaussée, de la musique, des conversations bruyantes, des rires aigüs montent jusqu'à elle. Elle ne les entend pas.

Son corps maigre drapé dans un peignoir baillant sur sa poitrine, Elisa attend, morne et passive, un de ces hommes sans visage. Surtout ne pas penser à l'étreinte brutale et dénuée d'âme pendant laquelle elle détournera le regard vers la fenêtre pour accrocher un morceau de ciel bleu. Et attendre ce moment où elle pourra enfin se nettoyer, se purifier, longuement, intensément, sous le jet brûlant de l'eau.

Fadhila, avril 2009

"Une vie en condiments", de Mélanie

Mélanie est une de mes acolytes. Elle est arrivée quasiment en même temps que moi, il y a 3 ans, environ. Mélanie, la reine des descriptions, la reine d'un humour toujours surprenant : ici, le mari de la narratrice va être comparé à un ... cornichon ! Mélanie suit toujours un cheminement créatif improbable ! Elle est une des auteurs qui nous fait le plus voyager. Je vous laisse la découvrir.

Quand je l’ai rencontré, il était encore vert, dans la fleur de ses vingt ans. Un corps sain pour un esprit droit, un idéal de vie qui ne fluctuerait d’un iota. Puis, une fois ses études finies, son diplôme obtenu, il a cherché un travail. Il en a trouvé un qui lui plaisait beaucoup, flattait son esprit d’équipe, et, m’a-t-il dit, lui forgerait le caractère. Il m’en parlait beaucoup le soir, beaucoup trop à mon goût.
Pendant qu’il me racontait. J'imaginais l'open space en forme de bocal, les échanges verbaux passés au blanc aigre des rivalités, le plafond de verre insurmontable dont ne sortiraient que les meilleurs.
J’ai mis longtemps à comprendre ce qui se passait. Mais, à ses quarante ans, en ouvrant une boîte de condiments pour son anniversaire, j’ai réalisé que mon mari était devenu un cornichon. Un cornichon de la pire espèce. Non pas ceux qui prospèrent à l’air libre dans les jardins. Je pensais plutôt à un cornichon domestiqué par une vie passée dans un lieu confiné, un cornichon de bocal courbé à force d’avoir respiré le vin acidulé des remarques entre collègues.
J’ai pensé le quitter, mais une idée m’est venue. On ne laisse pas les cornichons dans leur boîte, on les croque. Si je ne mangeais pas mon mari, une autre le ferait. Alors j’ai entrepris de le dévorer. Une bouchée pour le chalet en Suisse. Une autre partie dans une belle voiture. Une grosse part engloutie dans les bijouteries de la place Vendôme.
Peu à peu, mon mari vidé de sa substance sombra dans le vinaigre blanc.
Pour faire définitivement le vide autour de lui, j’ai engagé une fille au pair. Blonde, grande, yeux bleus et pas farouche. De quoi tenter les cornichons les plus rabougris.
Quand le divorce eut lieu sur motif d’adultère, j’ai avalé l’argent de mon mari tout entier. Il ne restait autour de lui que cet environnement âpre.
Seulement, j’étais encore plus aigrie que lui. Trop acide pour qu’on me croque. Besoin de retrouver un Ph moral plus neutre. Alors, depuis, je ne déguste que des jeunes cornichons de plein air.

Mélanie, avril 2009

"Fenêtre d'en face", de Blandine

Blandine est une adepte de l'atelier. Cela fait plus de 2 ans qu'elle y participe. Ecriture fine, avec le souci du détail, Blandine s'attache à écrire des faits et gestes au plus près de la réalité quotidienne. Ce jour-là, le thème de Joëlle Guillais traitait de "la personne habitant l'immeuble d'en face"...

Ça y est. Ils sont partis. Ils sont vraiment sympas, Martine et Jean, d'être venus m'aider. Sans eux, je n'y serai jamais arrivée. Ouh la la, ces cartons partout ! Je rangerai demain, plus tard, j'ai toute la vie. Ce soir, je suis naze, tout ce que je veux, c'est me poser. Une petite bière et rêver. Me voici chez moi ! Il est super, ce fauteuil, j'ai eu de la chance de pouvoir le récupérer. Il faudra que je trouve une jolie lampe à mettre à côté. Pour l'instant, il fait encore jour ; vive le mois de mai, les jours rallongent, je peux laisser la fenêtre ouverte, il fait doux. C'est drôle, ces bruits de repas, de vaisselle, ces cris dans la cour ; ça change de la montagne, tout ce boucan. Tiens, il y a un type, en face, à sa fenêtre. On dirait qu'il regarde par ici. Bon, je m'en fous. Allez, ce serait bien que je range un peu, pour pouvoir me coucher. Le matelas est inaccessible, il faut au moins que je fasse mon lit. Dans quel carton sont les draps ? Merde, je ne vais jamais les trouver. Pfiou, j'ai chaud ! Tiens, mes affaires de toilette, ça, je sais où les ranger. Vivement la douche ! Allez, je dégage le lit, j'empile tout ça, je prends un yaourt et je me couche. Mais il est encore là, lui ? Il n'est pas trop occupé, au moins. C'est vrai qu'on est dimanche soir. C'est pas l'heure du film ? Il n'a peut-être pas la télé. Il préfère mater à la fenêtre. Ah, mais les voilà, mes draps ! je ne me souvenais pas de les avoir mis là. Hmmm, même roulés en boule, ils sentent bon la lessive. Voilà, mon duvet par dessus et hop, c'est prêt. Une serviette, un T-shirt, je file me doucher. Il a intérêt à disparaître pendant ce temps-là, le gars d'en face.

Jean-Paul n'a pas bougé. Il est accoudé à sa fenêtre, le nez posé sur ses trois géraniums qu'il entretient avec soin depuis des années. Hypnotisé par la fenêtre d'en face. Il en oublie les autres étages, qu'il surveille, d'habitude. La revoilà. A peine vêtue, juste un T-shirt au ras des fesses. Dommage qu'il commence à faire un peu sombre. Pendant qu'elle était sous la douche, il a défroissé le drap du dessus, tapoté l'oreiller pour qu'il soit bien moelleux, allumé la lampe de chevet. Il a trouvé le réveil, qu'il a posé à côté en mettant la sonnerie à 7 heures. C'est son heure. Quand elle sera sur le point de s'endormir, il se glissera discrètement entre ses draps.

Blandine, mai 2009

"Une opération", d'Oriana (encore!)

Dans une salle d’opération, trois chirurgiens autour d’un corps.
LE TROISIEME CHIRURGIEN. - Tu vois quelque chose toi ?
LE DEUXIEME. - Moi, non.
LE PREMIER. - Moi, non plus
LE TROISIEME. - Ecarte un peu pour voir.
LE PREMIER. - Tu veux que je coupe autour ?
LE TROISIEME. - Non non, c’est bon. J’étais sûr qu’il était là pourtant.
LE DEUXIEME. - On l’aurait vu, non, tu crois pas ?
LE PREMIER. - Tsss, toi tu crois toujours tout savoir ! On l’aurait pas forcément vu, c’est peut-être pas visible. Ou bien peut être que cette fois y en a pas.

LE DEUXIEME. - On cherche encore cinq minutes et après on arrête.
Ils fouillent encore tous les trois, gantés, scalpels à la main, les petites cisailles éclaboussées de sang. Ils croient distinguer quelque chose, se penchent ébahis, puis non, rien de rien, c’est une erreur.

- C’est peine perdue, dit l’un, s’il y était on l’aurait trouvé.
- Oui, c’est sûr, on l’aurait trouvé, renchérit le second.

Ils semblent désolés.

- D’accord, d’accord, abandonne le troisième, on arrête là.

Il regarde le corps avec tristesse.

- Elle pourtant je l’aimais bien.

LES DEUX AUTRES (dépités). - On te l’avait bien dit que c’était une femme sans cœur.

Oriana

"Un simple jeu de mots", d'Agathe

Agathe est également une des nouvelles plumes de l'atelier, parvenue avec la dernière "fournée" d'auteurs nouveaux. Prometteur...

La nostalgie à marée haute s’affiche sur les murs. Pas d’issue de secours. Je suis à bout de souffle – je crie- je hurle dans ce corridor de l’absurdité générale.
Les petites corruptions sentimentales s’encastrent avec constance dans le méli-mélo ambiant. Le président s’est encore pris un râteau avec sa nuit du racolage sentimental.
J’ai la gueule de bois du futur réveillon. Je jetterai mon Xème peluche en lui glissant un « témétro…pas possible de continuer » . Je l’entendrai glousser
- M’en fiche tu m’as déjà castré alors !
- Alors quoi ?
- Je me suis équipé sérieux. Rien à faire de toi. J’suis un bâtard heureux
- Témétro
- Tu parles. Vous et votre constante vaginale ça va. Mère je vous hais .
- Tu n’as pas le droit de dire ça. Je suis à bout de souffle. J’agonise.
- Te crois pas. Trop facile ton petit jeu. Tu me jettes et tu dis que tu m’aimes. C’est quoi c’tembrouille
- J’ai mon papier à terminer. J’ai pas le temps de répondre
- Comme par hasard et c’est quoi ton « papier » ?
- « mieux s’équiper avant de sortir
- Ca veut dire quoi ?
- Sans le contexte c’est difficile à t’expliquer. C’est pour dire de se protéger. Enfin tu le sais...
- Ah oui, le petit machin qu’on se colle au zizi pour passer au stade supérieur du câlinou. Faut un article pour ça ?
- Tais-toi, tu m’agaces. Files-moi un whisky.

Agathe, octobre 2009

"Vivre à poings vivants", d'Oriana

Oriana est une de ces nouvelles plumes de l'atelier, arrivée en septembre 2009. Elle est, avec d'autres nouvelles plumes, une des futures mascottes ! Découvrons ensemble son écriture.

Vivre au point mort, c’est vivre encore. Tant que les vivants sont là, rien n’est perdu.
Forcer les portes intérieures, faire sauter les verrous. Et que trouve-t-on là derrière qui ne nous brise point d’épouvante, qui ne nous fasse point chanceler de vertige : la vie. Vivre au point mort c’est être sur le seuil de la vie, être lourd de tout ce qui n’a pas encore été dit, être figé et vouloir projeter le passé dans l’avenir pour le faire éclater.
Moi, je veux vivre à poings vivants.
Quand la pluie harcèle en nous, quand tremblent nos portes closes sous les blessures, quand même la joie est une étrangère qui cogne, il nous est encore donné de vivre à poings vivants. Non pas à pas feutrés, non pas statique et enraciné dans notre propre douleur, mais aérien, ailé.
Voler la vie, avec nos poings, avec nos mains, avec nos yeux. Enclencher la première, la deuxième, la troisième, la millième, quand d’autres en sont encore à la marche arrière. Tant qu’il nous est permis, ne nous arrêtons pas.
Entre l’incipit et l’excipit, il y a toute la marche des jours, une transhumance de chaque instant.
Vivre à poings vivants jusqu’à ce que la mort nous étreigne tant, tant et plus…jusqu’au point mort.

Oriana, octobre 2009

dimanche 6 décembre 2009

L'atelier accueille sans cesse de nouveaux auteurs

Les prochains textes seront issus de nouvelles plumes, arrivées à l'atelier Mot à Mot depuis seulement quelques mois. Des auteurs dont je ne connais pas encore le visage ni le style, mais qu'il me tarde de découvrir, avec d'autres textes. Joëlle Guillais accueille sans cesse de nouveaux arrivants. Et ce, tout au long de l'année. Son souhait est de rendre ces réunions littéraires "mouvantes", non figées en un cocon de connaissances rassurantes, où les styles des uns et des autres se confronteraient toujours aux mêmes remarques, aux mêmes échos critiques. A la fin de chaque séance d'écriture, les auteurs lisent à voix haute leur texte et sont ainsi confrontés de plein fouet à la critique de ceux qui "entendent" leur écriture. L'enjeu de l'atelier est certes le plaisir d'écrire et de créer, de prendre du bon temps en partageant sa création, tout en se servant parfois de celle-ci comme un exutoire (sans non plus tomber dans la psychothérapie de groupe!), mais l'atelier s'efforce aussi d'accéder à une certaine formulation de critiques constructives, à l'égard de tous les auteurs (prenant en compte bien entendu leur niveau, leur expérience, etc.) dans une visée toujours pédagogique de progression et d'amélioration.
L'arrivée donc de "nouvelles" plumes permet aux membres de l'atelier de découvrir d'autres écritures, d'autres créativités, source de nouvelles inspirations pour sa propre écriture, mais également de se prêter - sans complaisance et sans malveillance - à des avis et critiques sans cesse renouvelés, providence d'un mini-lectorat à la fois bien à soi et s'élargissant au fur et à mesure des semaines et des mois !

Amélie

"Une vie", d'Emmanuel

Un deuxième texte, très court, d'Emmanuel.

Jean Paul avait contracté l'habitude fâcheuse de rentrer chez lui vers cinq heures du soir et de passer des heures à contempler l’horloge du salon, il menait une existence somme toute solitaire. Pourtant il aimait le contact avec d'autres bipèdes humains. Il y avait bien ce club de bridge où il se rendait chaque après-midi. En fait il lui manquait le cinquième élément ; quelqu’un contre qui se blottir aux confins de la nuit et du jour. Il savait circonscrire les graines de l'erreur. Mais il restait touché, moins qu'il n'aurait cru mais suffisamment tout de même pour en être affecté. Ce qu'il ressentait était en réalité très commun à beaucoup d'êtres humains, mais c'était son destin de vivre sur les lignes de flottaison du contact et de la solitude, il s'en accommodait plus ou moins bien.

Emmanuel, mai 2009.

"Le billet échangé", de Laurent

Laurent est arrivé à l'atelier l'année dernière. Les textes en atelier permettent de s'échapper du quotidien, ou bien de le revisiter, avec distance, humour et/ou poésie.

Il est sorti faire un tour, marcher sans but. Il descend le boulevard, les boutiques sont fermées. De temps à autre un bus passe. Il croise un piéton esseulé. Il ne pense à rien. Il a la tête vide comme la rue.
Soudain, sur le trottoir un petit papier blanc attire son regard. Il le ramasse, le déplie. Il lit : « Rendez-vous dimanche comme convenu, place du Coq d’Or devant le restaurant, bisous. Agathe »
Il n’y a pas de date, le papier est neuf. Il réfléchit que c’est complètement idiot mais aujourd’hui justement c’est dimanche. Pourquoi ne pas y aller ? La place du Coq d’Or est loin, alors il prendra le métro.
Le quai est presque désert. Un vieil homme a le regard absent. Une femme tient un enfant par la main. Deux jeunes se racontent des blagues, éclatent de rire.
Une rame passe et ne s’arrête pas ; curieux. La suivante s’arrête, il monte. Un grand type en costume lit un journal. Station Saint-Georges, c’est là qu’il descend. La place est à 500 mètres.
Dans la rue, quelques passantes se hâtent vers un rendez-vous improbable, comme lui.
Il débouche au coin de la place. Quel étonnement ! Les quelques bancs sont occupés. Il y a aussi beaucoup de monde debout. Le restaurant est plein à craquer. Le plus étonnant ce sont les femmes.
Partout où il regarde, il n’aperçoit que des femmes. Des visages multiples, de longs cheveux, des tresses, des coiffures « afro », des cheveux très courts, masculines, des sophistiquées en tailleur, des jeunes en jeans et longs pulls décontractées, des sportives en survêtement et baskets. Chacune d’elles à son petit billet à la main.
Il s’avance sur la place, il va dire quelque chose, il inspire, prend son élan. Une sonnerie au loin, le réveil est brutal. Nous sommes lundi matin.
Il se lève, le café est prêt. Encore ensommeillé, il se traîne dans la cuisine. Rasé, douché, habillé, il est prêt pour entamer une nouvelle journée.
Sur le chemin du métro, il aperçoit par terre un petit papier blanc plié. Il passe à côté sans le ramasser, il lui laisse son mystère, il le garde pour un rêve prochain, un rendez-vous place du Coq d’Or…

Laurent, février 2008

mardi 1 décembre 2009

"La ville", de Mirella

Mirella a l'habitude d'écrire des textes denses, descriptifs, envoûtants. Elle est - elle aussi - une habituée de l'atelier. Mirella, à quand la rédaction du texte dit "long" par excellence : le roman ?

Tokyo by night. Les monticules de béton. Des baies vitrées qui constituent tout autant de fenêtres sur le monde. Des routes tracées qui scarifient le monstre qu’est la ville. Des multitudes d’êtres, d’insectes de métal montés sur roues ou rails. Ils caractérisent les millions de cellules qui donnent vie à cet être hybride, fait de béton et de métal. Le vent souffle sur la cité. Frais en ce soir d’été. Ryo se sent bien. Sur le toit d’un immeuble, il regarde la ville, la domine du regard, vérifie et replace chaque monument, chaque tour de sa connaissance. Il est là. Rien à faire. Juste exister. Il savoure... En cette heure tardive, le gros de la population est endormi. Instant de solitude… Trop rare. Il a beau tendre l’oreille, scruter le paysage, il n’y a que le bruit de la circulation, des lumières, des néons. Rien d’autre… Voir. Sentir. Se contenter d’être. Cette sensation est indescriptible. Il fait corps avec l’environnement. Il y a comme quelque chose de magique dans l’air. Et c’est bon. Le jeune homme respire profondément. Il hume... ressent. Sur sa peau, dans son for intérieur... C’est cela qu’il aime, cela qu’il recherche... Peut-il l’expliquer clairement ? Non. Il s’agit d’un moment, d’une impression, un instant de paix. Pas d’agitation. Un éphémère. Une occasion, un ressourcement. Une affection infinie le submerge. Pour ce lieu, cet endroit où il a vécu, grandi. S’il pouvait parler, il lui dirait un poème, une ode, un roman. Mais il ne peut pas. Alors il se contente de ce qu’il est, de ce qu’il fait. En gros, rien, un point noir, une particule minuscule dans cet univers infini. Qu’est-ce qui l’a amené ici, si près de cet « endroit », il ne sait pas. Il ne veut pas le dire. Tout ce que vous devez savoir c’est qu’il a attendu. Longtemps. Une éternité. Des mois. Des années. Mais lui, si lâche, il a pris un choix. Dans sa tête, il y a plusieurs voix. Mais l’une domine. Il l’écoute, subjugué… Il avance. Pas à pas… Il progresse. Arrivé à un point, il s’arrête. Il regarde devant lui, retient sa respiration.

Puis saute.

Mirella, Septembre 2009