dimanche 13 décembre 2009

"Une vie en condiments", de Mélanie

Mélanie est une de mes acolytes. Elle est arrivée quasiment en même temps que moi, il y a 3 ans, environ. Mélanie, la reine des descriptions, la reine d'un humour toujours surprenant : ici, le mari de la narratrice va être comparé à un ... cornichon ! Mélanie suit toujours un cheminement créatif improbable ! Elle est une des auteurs qui nous fait le plus voyager. Je vous laisse la découvrir.

Quand je l’ai rencontré, il était encore vert, dans la fleur de ses vingt ans. Un corps sain pour un esprit droit, un idéal de vie qui ne fluctuerait d’un iota. Puis, une fois ses études finies, son diplôme obtenu, il a cherché un travail. Il en a trouvé un qui lui plaisait beaucoup, flattait son esprit d’équipe, et, m’a-t-il dit, lui forgerait le caractère. Il m’en parlait beaucoup le soir, beaucoup trop à mon goût.
Pendant qu’il me racontait. J'imaginais l'open space en forme de bocal, les échanges verbaux passés au blanc aigre des rivalités, le plafond de verre insurmontable dont ne sortiraient que les meilleurs.
J’ai mis longtemps à comprendre ce qui se passait. Mais, à ses quarante ans, en ouvrant une boîte de condiments pour son anniversaire, j’ai réalisé que mon mari était devenu un cornichon. Un cornichon de la pire espèce. Non pas ceux qui prospèrent à l’air libre dans les jardins. Je pensais plutôt à un cornichon domestiqué par une vie passée dans un lieu confiné, un cornichon de bocal courbé à force d’avoir respiré le vin acidulé des remarques entre collègues.
J’ai pensé le quitter, mais une idée m’est venue. On ne laisse pas les cornichons dans leur boîte, on les croque. Si je ne mangeais pas mon mari, une autre le ferait. Alors j’ai entrepris de le dévorer. Une bouchée pour le chalet en Suisse. Une autre partie dans une belle voiture. Une grosse part engloutie dans les bijouteries de la place Vendôme.
Peu à peu, mon mari vidé de sa substance sombra dans le vinaigre blanc.
Pour faire définitivement le vide autour de lui, j’ai engagé une fille au pair. Blonde, grande, yeux bleus et pas farouche. De quoi tenter les cornichons les plus rabougris.
Quand le divorce eut lieu sur motif d’adultère, j’ai avalé l’argent de mon mari tout entier. Il ne restait autour de lui que cet environnement âpre.
Seulement, j’étais encore plus aigrie que lui. Trop acide pour qu’on me croque. Besoin de retrouver un Ph moral plus neutre. Alors, depuis, je ne déguste que des jeunes cornichons de plein air.

Mélanie, avril 2009

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